Bien que peu connue, il existe une relation entre Dostoïevski et le monde musulman. En effet, dans quelques uns de ses romans, l’écrivain russe fait mention de l’islam, du Coran et du prophète Mohamed.
Fédor (Fiodor) Mikhaïlovitch Dostoïevski est un écrivain russe, considéré comme l’un des plus grands romanciers russes. Il est né à Moscou en 1821 et mort en 1881 à Saint-Pétersbourg.
Dostoïevski a eu une enfance difficile ; son père, un médecin militaire, était alcoolique et violent. Enfant, le jeune Dostoïevski se passionne déjà pour la lecture et découvre de grands écrivains notamment Shakespeare, Goethe, Victor Hugo et surtout Schiller, auteur déterminant dans sa vocation d’écrivain :
« Lorsque j’avais dix ans, je vis à Moscou, une représentation des Brigands de Schiller avec Motchalov, et je vous affirme que l’énorme impression que je subis alors exerça une féconde influence sur mon univers spirituel. »
En 1838, à l’initiative de son père et sans grande conviction, il intègre l’École supérieure des Ingénieurs militaires de Saint-Pétersbourg et en sort sous-lieutenant chargé de la réalisation des plans de campagne de la direction du génie à Saint-Pétersbourg. Très peu passionné par son métier, il le quitte en 1844.
À 22 ans, il se consacre à son premier roman, “Les Pauvres Gens” publié en 1846 et connaît un succès public certain. Dostoïevski se retrouve alors propulsé au rang de « nouveau Gogol » et se pavane dans les cercles mondains de Saint-Pétersbourg.
En 1847, il fréquente une école d’officiers et se lie avec les mouvements progressistes pétersbourgeois. Arrêté pour cette raison, il est condamné à mort en 1849. L’empereur graciant les prisonniers à l’instant même où ils allaient être fusillés, Dostoïevski voit sa peine commuée en exil de plusieurs années et la peine en déportation dans un bagne de Sibérie. C’est à cette époque que Dostoïevski fait sa première crise d’épilepsie, maladie qui l’handicapera toute sa vie.
Après avoir purgé ses quatre ans de travaux forcés, il quitte le bagne en 1854 et est affecté comme simple soldat dans un régiment de Semipalatinsk en Sibérie. Une semaine après sa sortie du bagne à Omsk, Dostoïevski envoie une lettre à son frère Mikhaïl lui demandant :
« Envoie moi le Coran, la Critique de la Raison pure de Kant et si jamais un jour tu peux faire des envois par voie clandestine, expédie absolument Hegel, surtout l’Histoire de la Philosophie de Hegel. »
En 1855, Dostoïevski commence l’écriture de son récit Souvenirs de la maison des morts alors qu’il était encore en relégation à Semipalatinsk en Sibérie, où il servait comme simple soldat.
Ce roman, dont l’action se déroule dans un bagne en Sibérie, est une œuvre phare de la littérature concentrationnaire. L’auteur attire l’attention du lecteur sur la situation misérable des forçats avec beaucoup de réalisme. Il raconte sa rencontre avec un jeune forçat Aléi, le plus jeune des trois frères Tartares du Daghestan. Dostoïevski apprit à ce dernier à lire et à écrire le russe. Cette rencontre était l’occasion pour l’auteur russe d’évoquer l’Islam, un sujet peu courant chez les grands auteurs russes. Dès les années 1840, Dostoïevski a probablement lu le Coran en traduction russe ou française, le livre étant en effet traduit plusieurs fois en russe à partir du français au cours du XVIIIe siècle.
Grâce à l’expédition napoléonienne de 1798 en Égypte, qui avait envoyé les intellectuels européens dans une relation nouvelle avec le monde arabo-musulman, les traductions du Coran se sont répandues un peu partout dans le monde. Bonaparte faisait appel aux érudits de l’université d’Al Azhar pour interpréter le Coran dans un sens favorable. Ce qui explique l’exemplaire du Coran en français dans la bibliothèque personnelle de Dostoïevski.
Dostoïevski décrit la caserne dans laquelle il était placé. Avec lui, il y avait un groupe de montagnards caucasiens – deux Lezghiens ; l’un d’eux était un vieillard qui paraissait un franc bandit en revanche, l’autre, Nourra, fit sur lui une impression favorable et consolante –, un Tchétchène et les trois frères Tatars du Daghestan. Les détenus de la caserne étaient de religions différentes mais ceci n’a pas été source de conflits.
Dostoïevski s’intéressait au comportement pieux du forçat Tchétchène Nourra, il le décrivait comme suit :
« Tout le monde l’aimait dans le bagne à cause de sa gaieté et de son affabilité. Il travaillait sans murmurer, toujours paisible et serein ; les vols, les friponneries et l’ivrognerie le dégoûtaient ou le mettaient en fureur ; en un mot, il ne pouvait souffrir ce qui était malhonnête ; il ne cherchait querelle à personne, il se détournait seulement avec indignation. Pendant sa réclusion, il ne vola ni ne commit aucune mauvaise action. D’une piété fervente, il récitait religieusement ses prières chaque soir, observait tous les jeûnes mahométans, en vrai fanatique, et passait des nuits entières à prier. Tout le monde l’aimait et le tenait pour sincèrement honnête. »
La rencontre du romancier russe avec les frères Tatars va lui permettre de s’initier à la littérature islamique. Tout a commencé lorsque Dostoïevski propose généreusement à Aléi de lui apprendre le russe à travers le Nouveau testament :
– Écoute, Aléi, lui dis-je un jour, pourquoi n’apprends-tu pas à lire et à écrire le russe ? Cela pourrait t’être fort utile plus tard ici en Sibérie.
– Je le voudrais bien, mais qui m’instruira ?
– Ceux qui savent lire et écrire ne manquent pas ici. Si tu veux, je t’instruirai moi-même.
– Oh ! Apprends-moi à lire, je t’en prie, fit Aléi en se soulevant. Il joignit les mains en me regardant d’un air suppliant.
Aléi apprit à lire en quelques semaines avec le Nouveau Testament. Au bout de trois mois il comprenait parfaitement le langage écrit.
« Un jour, nous lûmes ensemble, en entier, le Sermon sur la montagne. Je remarquai qu’il lisait certains passages d’un ton particulièrement pénétré ; je lui demandai alors si ce qu’il venait de lire lui plaisait. Il me lança un coup d’œil, et son visage s’enflamma d’une rougeur subite. – Oh ! Oui, Jésus est un saint prophète, il parle la langue de Dieu. Comme c’est beau ! – Mais dis-moi ce qui te plaît le mieux. – Le passage où il est dit : « Pardonnez, aimez, aimez vos ennemis, n’offensez pas. » Ah ! Comme il parle bien ! »
Après ce passage, la relation entre les deux détenus s’est approfondie, un lien de complicité s’est créé entre eux. Les frères Tatars expliquèrent à Dostoïevski que Issa (Jésus) est un grand prophète et que c’était écrit dans leurs livres (Le Coran) qu’il avait fait de grands miracles ; créé un oiseau d’un peu d’argile sur lequel il avait soufflé la vie, et cet oiseau s’était envolé… Cette séquence témoigne de la capacité de Jésus à vivifier les morts et démontre le statut particulier de Jésus dans la tradition musulmane.
Les doctrines musulmane et chrétienne diffèrent sur la figure de Jésus. L’islam lui donne une nature humaine ; il est prophète, envoyé et serviteur de Dieu, alors que le christianisme le consacre vrai Dieu, né du vrai Dieu.
Le Prophète et le romancier
Dostoïevski cite pour la première fois le prophète Mohamed dans son deuxième roman « Le Double » publié en 1846 :
« À ce propos, M. Goliadkine, le personnage principal de ce roman, aîné évoqua les Turcs et leur donna raison d’adresser, même pendant leur sommeil, des invocations à leur Dieu. M. Goliadkine, en désaccord sur ce point avec certains savants, qui calomniaient le prophète turc Mohamed, le considérait, lui, comme un grand homme politique. »
Ces évocations révèlent les débats qui étaient menés en Europe au XIXe siècle sur la religion musulmane et son prophète.
À l’instar de Dostoïevski, un bon nombre d’hommes de lettres, de scientifiques et de philosophes se sont prononcés sur le Prophète Mohamed : Victor Hugo a écrit un poème au prophète Mohamed intitulé « L’an neuf de l’Hégire » qui évoque sa mort, sir George Bernard Shaw le considérait comme le sauveur de l’humanité et Thomas Carlyle avec son ouvrage Les héros et le Culte des héros publié en 1841.
Dostoïevski montre son intérêt pour le prophète Mohamed dans ses autres romans. Dans son roman « Crime et châtiment », Raskolnikov, le personnage principal, classe Mohamed au rang de César et Napoléon qualifié de « les législateurs et les guides de l’humanité » « … les Lycurgue, les Solon, les Mahomet, les Napoléon, tous, jusqu’aux derniers, ont été des criminels, car, en promulguant de nouvelles lois, ils violaient, par cela même, les anciennes qui avaient été jusque-là fidèlement observées par la société et transmises de génération en génération, et parce qu’ils n’avaient point reculé devant les effusions de sang .» Là aussi, l’écrivain russe paraît influencé par la littérature orientaliste du XIXe siècle.
Le prophète Mohamed va être mentionné dans d’autres romans de Dostoïevski nous laissant découvrir une vision différente de l’image que se fait Dostoïevski de Mohamed, l’image d’un homme qui « remue » les autres pour fonder quelque chose de grandiose.
Dans les années 1850, Dostoïevski avait connu ses premières vraies crises de l’épilepsie, ce qui explique son vif intérêt pour les récits sur le « mal sacré ».
Dostoïevski s’identifiait en quelque sorte au prophète Mohamed. Dans son roman « L’Idiot », l’auteur traite Mohamed d’épileptique lorsqu’il évoque son ascension à travers les cieux. L’hypothèse d’une épilepsie du prophète Mohamed n’est pas étrangère à la littérature islamique car ses détracteurs au Moyen Âge avaient fabriqué cet argument polémique pour le discréditer.
Dans les demeures d’Allah, Alexis Klimov, philosophe, écrivain et poète québécois, éclaire cette position :
« Assurément, notre écrivain ironise en parlant du haut mal de Mahomet. Pour Dostoïevski, dire de quelqu’un qu’il est épileptique, revient à constater un ensemble de manifestations convulsives […], mais n’éclaire en rien le secret d’une vie humaine, qui sera au-delà de toutes les explications, quelles qu’elles soient. »
En conclusion, il faut savoir que le célèbre romancier russe Dostoïevski s’intéressait profondément à l’islam. Il aimait son livre sacré « Le Coran » et s’inspirait de ses versets et croyait en son prophète Mohamed et à son grandiose miracle de l’ascension. Dostoïevski disait :
« Le grand prophète de l’islam est monté jusqu’au trône du Grand Créateur et L’a rencontré. Moi, je crois fermement à son ascension avec tout mon cœur. »
Sources
- Leonid Grossman (trad. Michèle Kahn, préf. Michel Parfenov), Dostoïevski, Paris, Parangon, coll. « Biographies »
- Lettre de Dostoïevski à son frère Mikhaïl 22 février 1854 ( wikisource.org )
- Fiodor Dostoïevski, 1861. Souvenirs de la maison des morts (traduit du russe par Charles Neyroud préface d’Eugène-Melchior de Vogüé).
- Fiodor Dostoïevski, 1846 . Le Double (traduit du russe par Georges Arout).
- Fiodor Dostoïevski, 1866. Crime et châtiment (traduit du russe par D. Ergaz).
- Fiodor Dostoïevski, 1869. l’idiot (Traduit et annoté par Albert Mousset).
- Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Larousse.